L’affaire a fait la Une de tous les journaux internationaux. La fameuse petite fille au ballon rouge de Banksy était mise en vente chez Sotheby’s vendredi soir. À peine le coup de marteau entendu que l’improbable se produit : la toile, vendue à 1,04 million £, passe à travers un déchiqueteur installé directement dans le cadre. La scène a fait le tour des réseaux sociaux tout le week-end.
« Going, going, going, gone »
On aurait pu croire à une scène issue d’une comédie américaine satirique dont le sujet traiterait de l’art contemporain. Banksy a tout misé sur l’un des coups les plus audacieux de l’histoire de l’art : l’autodestruction d’une de ses œuvres les plus connues. Son prix de vente, 1,04 million £ égalait à lui seul le précédent record de vente aux enchères de l’artiste…
Sur Instagram, Banksy ne s’est pas fait attendre pour poster une image de l’œuvre déchiquetée, qui pend au bas du cadre avec pour commentaire « Going, going, going, gone… ». Plus tard dans le week-end, et toujours sur son compte Instagram, Banksy publiait une vidéo qui montrait une déchiqueteuse montée sur le cadre du fameux tableau avec pour légende : « Il y a quelques années, j’ai secrètement construit une déchiqueteuse dans un tableau ». Le clip montre une personne cachée par une capuche, mettant la touche finale à l’appareil, avant que le texte suivant n’apparaisse à l’écran : « Au cas où il serait mis aux enchères ».
As du marketing ou véritable artiste engagé ?
Joey Syer, cofondateur du site internet MyArtBroker.com, a lui-même déclaré au Guardian : « Cela fait maintenant partie de l’histoire de l’art dans son état déchiqueté et nous estimons que Banksy a ajouté au moins 50 % à sa valeur, peut-être jusqu’à 2 millions de livres. » Une question se dessine : Banksy est-il un as du marketing ou un véritable artiste engagé et anticonformiste ? Si le grand public semble voir en Banksy une sorte d’artiste solitaire, qui vit pour ses œuvres sans vouloir rentrer dans son système spéculatif, n’est-ce pas surtout un énorme coup marketing qui va faire grimper (encore plus) les côtes de ses dessins ?
« Banksy est un formidable as du marketing faute d’être un grand artiste. On en fait tout un foin. Il ne le mérite pas, alors que Maurizio Cattelan ou Damien Hirst qui ont joué aussi de la provocation, eux, sont de vrais artistes » rapporte le Figaro qui reprend les propos d’un expert en art contemporain au sortir de la vente aux enchères de vendredi soir. Sotheby’s pourrait-elle être de mèche avec l’artiste dans le but de faire gonfler encore un peu plus le portefeuille de la société ? La plupart des habitués des ventes aux enchères présents à celle-ci ne semblent pas dupes : « La manière dont a été prise la vidéo peut donner certains indices, quand on connaît le fonctionnement des maisons de ventes », analyse l’un d’eux.
L’acheteur et le cinéaste : deux grands inconnus
Effectivement il n’est pas si simple que ça d’obtenir une place assise à ce genre d’évènement. Pour ce faire, il faut avant tout s’enregistrer auprès de la maison afin d’obtenir un « panel » avec un numéro vous permettant d’enchérir. Sotheby’s savait donc parfaitement qui était présent ce soir-là et donc qui aurait pu filmer la scène.
L’origine du vendeur suscite également des interrogations. Sotheby’s ayant précisé qu’il préférait rester anonyme, il aurait acquis directement la toile auprès de l’artiste en 2006. Idem, on peut s’interroger aussi sur le rapport d’état de l’œuvre que l’on doit normalement se procurer avant toute vente. Ce rapport fait état de l’œuvre qui a préalablement été désencadrée et étudiée sous tous les angles ! Dans le catalogue de la vente, la toile est photographiée avec le cadre, que l’artiste aurait refusé d’enlever.
Seulement voilà, arrivera-t-on à savoir jusqu’à quel point le coup était préparé à l’avance ? De l’avis de plusieurs experts, l’artiste a une sérieuse équipe autour de lui sans quoi l’évènement n’aurait pu se faire. Mais tous sont anonymes, comme Banksy. Seul petit bémol à cet épisode satirique et soi-disant anticonformiste, difficile de croire que Banksy n’avait pas prévu que son œuvre doublerait sa valeur monétaire après cet épisode… Et participerait ainsi activement à la bulle spéculative du marché de l’art.
Imposteur ou pas, Banksy est un novateur dans de nombreux domaines. Il est le premier par exemple à avoir donné une valeur significative aux « prints » de ses œuvres, non signée. Il a fait évoluer le rapport que le public entretient avec l’œuvre, les gens achètent désormais pour consommer plus que pour collectionner. Enfin et surtout, le seul fait de ne pas révéler officiellement son identité ne fait qu’alimenter les fantasmes autour de sa personne.
Une identité artistique qui fait du mystérieux graffeur un véritable précurseur dans le domaine du Marketing. Comme le fait astucieusement remarquer le site Canva, ses coups d’éclats partagés sur les réseaux sociaux (comme ce happening chez Sotheby’s), cette culture de l’anonymat et cette capacité à susciter l’attente auprès de ses fans sont toutes les recettes d’un coup marketing réussi. Un exemple pour les professionnels du secteur ?